Sobriété énergétique ou sobriété énergique ?
Le choix des mots ou des maux, sans démo

Photo Frédéric Combes

FRÉDÉRIC COMBES

Consultant HSE
EazySAFE

Imaginons que nous nous retrouvions en stage de formation et que le formateur commence ainsi son animation : « mesdames, messieurs, comme vous le savez, vous êtes ici pour suivre une cure de désintoxication énergétique ; vous avez vécu jusqu’à présent dans l’opulence, voire la débauche énergétique, et nous allons maintenant apprendre doucement à vivre dans un nouveau monde bâti sur la sobriété énergétique… ».

Vous feriez quoi ? Partiriez-vous en courant ? Ou allez-vous vous remettre au chandelier avec des bougies pour vous éclairer ? Allez-vous pédaler pour alimenter une bobine électrique et recharger la batterie de votre ordinateur ? Allez-vous remettre en route le poêle pour faire chauffer de l’eau et plus tard vous faire votre café du matin ?

Difficile de croire que nous allons revenir en arrière de notre plein gré quand on est habitué au luxe énergétique ! Pourtant les circonstances de l’Est de l’Europe accélèrent notre réflexion sur la fameuse transition écologique : où trouver d’autres sources d’énergie et comment consommer moins ? Dans un premier temps, il est logique de commencer par se serrer un peu la ceinture. Mais comment ?

La réduction du chauffage au travail est mentionnée dans le plan de sobriété énergétique du gouvernement. Pourquoi ne pas diminuer le chauffage de 19 °C à 18 °C ? Oui d’accord, on enfilera un pull-over en plus. Pourtant se pose la question de l’objectif : réduire la dépense énergétique ? Mais c’est une question pour des salariés dorlotés ? Pourquoi ne pas simplement couper le chauffage ? Ah non, on ne pourrait pas, les syndicats vont s’y opposer. Oui d’accord, mais si l’énergie devenait un enjeu national ? Ah non, on ne pourrait pas, car le rendement des salariés va diminuer. Oui d’accord, mais si l’énergie devenait un enjeu critique pour toute la société ? Ah non, on ne pourrait pas, car il faudrait que les salariés télétravaillent quasiment tous à 100 %… Ah bon, mais si c’est vraiment moins cher à la maison ? Démontrez-le ! Car ce n’est pas aussi simple.

Pourquoi ne pas alors supprimer la voiture individuelle pour aller à son travail et passer à la voiture partagée ? Non, car cela mettrait à genou l’industrie automobile…Par contre au-delà de ces idées clivantes, il existe de vraies pistes de sobriété énergétique comme celles-ci :

  • Isolation des bâtiments pour réduire le chauffage des bureaux et installer un thermostat programmable, car les climatiseurs sont souvent un gouffre énergétique lorsqu’un bâtiment n’a pas une isolation renforcée ;
  • Déclenchement de l’éclairage des locaux par détection de mouvement et extinction de l’éclairage par temporisation ;
  • Limiter l’usage des écrans en débranchant voire en supprimant tous les écrans non essentiels ;
  • Mise en veille des systèmes informatiques dans les plages horaires où ces systèmes ne sont pas utilisés (ex : nuit et week-end pour les bureaux) ;
  • Débrancher les appareils électroniques lorsqu’ils ne sont pas utilisés ;
  • Dans une vision plus large, on peut aussi s’intéresser aux appareils électriques que nous utilisons dans une « salle de repos » où il y a un réfrigérateur au minimum, voire un congélateur ; là aussi, on peut penser à le remplacer par un appareil beaucoup plus sobre énergétiquement ;
  • Certaines entreprises disposent également d’une télévision : la comparaison de la consommation entre un écran plasma et un LCD est édifiante ; choisir le moins gourmand, le LCD bien sûr ;
  • Maintenant, le cœur de l’entreprise moderne : comment travailler sans ordinateur ? Est-il encore utile de rappeler qu’un ordinateur fixe consomme bien plus qu’un ordinateur portable ? et que les Data Center sont de très gros consommateurs d’énergie.
  • Ah maintenant l’imprimante : eh oui là aussi, il y a des questions à se poser sur sa consommation électrique, notamment s’il n’y a pas de mise en veille automatique !
  • Idem pour nos chargeurs : ce n’est pas la peine de les laisser constamment brancher ;
  • Limiter la vitesse à 110 km/h au lieu de 130 lors des déplacements professionnels réalisés avec un véhicule de service, mais avez-vous déjà essayé de rouler doucement ainsi ?…
  • Recourir au covoiturage ;
  • Et le clou du spectacle : favoriser le télétravail à raison de trois ou quatre jours par semaine.

 

Là se posent quand même plusieurs questions de société : 

  • Va-t-on télétravailler via des applications de visioconférence uniquement ? Quid des pannes de réseau informatique ? On pourra aller faire ses courses et on recevra un texto annonçant le retour à la normale ? Quid des relations humaines dans le domaine professionnel ?
  • Va-t-on un jour être limité pour sa consommation énergétique par foyer ?
  • Va-t-on avoir le droit de vivre « très loin » de son travail ?
  • Va-t-on passer à la semaine de 35 h en 4 jours ? La Belgique a franchi le pas mais en France, combien de temps cela va-t-il rester un sujet tabou ? Car quand on y repense, le télétravail était aussi un sujet tabou avant le Covid, mais ça, c’était avant !

 

Il existe aussi d’autres pistes sociétales comme :

  • Diminuer l’éclairage public par des équipements basse consommation ;
  • Réduire le temps d’éclairage public en éteignant plus tôt les lampadaires ou en installant des détecteurs de mouvement ;
  • Éteindre les enseignes lumineuses des magasins et des supports publicitaires ;
  • Réduire l’éclairage des stades de 50% avant et après les matchs en journée, et de 30% en soirée.

Pourtant, le gouvernement actuel a bien présenté la sobriété comme un projet à long terme face aux enjeux du réchauffement climatique, un « combat » qui « ne s’arrêtera pas à l’hiver 2022-2023 ». Choix sémantique troublant : sobriété énergétique pour ne pas dire sobriété énergique ?…

Le mot « sobriété » a-t-il été choisi pour ne pas parler de décroissance, c’est-à-dire cesser de faire de la croissance un objectif ? Car le mot « sobriété » évite la frustration en tout cas immédiate mais préparerait-elle une frustration plus profonde ? Ah bon, mais alors les bourses bâties sur la croissance devraient s’effondrer ? Doit-on être aussi extrême et envisager à terme une crise aussi aigüe ? Ou juste considérer une période passagère ? Car qui dit sobriété énergétique, dit que l’on va l’arrêter un jour pour refaire la fête énergétique !

Est-ce que les centrales nucléaires de type EPR vont mettre un terme à tout ce remue-méninge ? Deux fonctionnent déjà en Chine et une en Finlande. En France, ça tarde… Quid de la fusion nucléaire dans le projet ITER près d’Aix-en-Provence ? La Chine est encore en avance sur tout le monde dans cette course à la maîtrise de cette fusion tant convoitée. Mais l’enjeu pour la planète est ici colossal. Car l’énergie deviendrait tout simplement quasiment gratuite ! Rêve d’ingénieur ou future réalité industrielle apaisée ? Que de questions se posent, mais espérons que nous trouverons des réponses collectives justes…

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